Le pavillon sans programme
L’espace en tant que substance flottante.
En considérant l’architecture comme corps, on pourrait dire, que le Pavillon sans fonction est un corps qui « flotte ». Ce fait se réfère aux « pieds » et à la manière de distribuer les charges au sol, à l’équilibre entretenu entre poids du corps et le sol. Normalement, les systèmes structuraux sont développés à partir des points porteurs, des poteaux sans considérer l’impact destructeur que peut avoir ce type de fondation sur le terrain. Dans le cadre du projet, et considérant la nature de la première commande, une petite école pour éveiller la sensibilité des enfants au regard de l’environnement, a été refusée l’idée d’utiliser un système de fondations standard, facile à mettre en place mais contradictoire avec la portée didactique du projet. La première esquisse, une coupe, vient à matérialiser un corps prêt à décoller, qui ne semble pas toucher le sol. Se déplacer. À son tour le Pavillon a l’envie de se déplacer, de défier la gravité, ce désir est notamment perceptible à l’intérieur. Le projet est construit autour des questions sur la possible expression de la légèreté lorsque l’on utilise du béton armé, la réflexion sur un système structurel efficace et le moins invasif possible pour le sol a occupé une partie importante du travail à l’Atelier, cette recherche a réfléchi sur divers exemples qui développent le thème de la masse vis-à-vis du sol, La Villa Savoye, par exemple, propose un cadre de vie suspendu sur pilotis et un fait essentiel, « se connecter » au paysage. Un second exemple, La Maison Farnsworth, « avec les pieds dans l’eau », nous montre comme l’architecture peut cohabiter avec la nature, plus exactement avec les crues du fleuve Fox à Chicago. Ces deux exemples refusent l’idée de la caverne, proposant à la place une pensée architecturale qui développe des espaces construits « dans l’air », des espaces conçus comme des substances flottantes.
La disparition de la façade. La non-façade.
Si on pense au fragment au-delà des fenêtres, au fragment comme outil architectural, on trouvera des exemples très riches dans l’architecture de John Soane, notamment dans sa Maison-Musée à Lincoln Inn Fields à Londres. La salle de déjeuner est pleine de miroirs, et les « couches » espaces-temporels () sont animés par une multitude de visions fragmentaires qui nous permettent de lire l’espace dans sa globalité, ces effets sont obtenus grâce à l’utilisation du verre courbé, qui a de plus des propriétés acoustiques, disons sensorielles, on pourrait parler d’une certaine synesthésie acoustique-visuelle qui reproduit des échos, des réverbérations partielles spatiales et sonores.
Si on prend un exemple plus contemporain, tel que la Maison à Floriac de Rem Koolhaas, on verra que le contact masse-sol est résolu à partir du même dispositif, l’effet miroir. Le noyau porteur a été couvert de panneaux en acier inoxydable pour faire disparaitre le poids dans un paysage sans limite. De plus, le point de tension est tel que la structure est post-tendue pour diminuer au maximum les profils de direction verticale. À son tour, le sculpteur Anish Kapoor a également joué avec la perception urbaine à partir de l’effet du verre courbé, le Cloud Gate fait référence à cette question et aussi à l’utilisation déjà faite par John Soane à l’intérieur de sa maison. Dans le même sens, divers travaux de Dan Graham tentent de capturer le paysage, d’en apporter une relecture grâce au même dispositif qui capture et déforme la réalité. Michel Corajoud, dans son approche paysager, parle du fait d’être « poreux » à la nature, au contexte. Dans son projet d’aménagement de la Place de la Bourse à Bordeaux, il capture le fleuve pour le placer au sol du projet, créant ainsi une continuité entre ce qui est existant, le cours d’eau, et ce qui est proposé, « le miroir ». D’autres projets de l’agence expriment ce concept, dans la troisième partie du front de mer à Las Negras, on transposait le « mouvement » des montagnes, le « mouvement courbé » du paysage, aux bancs qui forment la limite maritime, le banc est conçu en tant que miroir du paysage. A Salobreña le miroir est littéral, le bâti tend à disparaître, à se fondre dans le paysage. S’exprime ici une continuité d’un projet à l’autre, à Las Negras c’est la forme du banc qui fait écho à celle des montagnes, à Salobreña c’est le matériau employé, la façade en verre, qui tend à dissoudre le bâtiment dans son contexte, en construisant un corps que des fois se situe dans un certain « Degré Zéro » () dans sa condition façade. Réflexif. La réalité construite, le détail, est développé à partir de profils d’acier courbés ou non, qui permettent de minimiser le contact entre ciel et verre, on a l’impression que la façade se construit à partir du ciel, ou en continuité avec celui-ci, en dessinant cette ligne ou ciel et verre se touchent à partir d’une référence essentielle à Corajoud dans son discours paysager : « Le paysage, c’est l’endroit ou le ciel et la terre se touchent ».
Le paysage reflété
Le paysage que vient à refléter le mur vitré du Pavillon est la plaine de Salobreña, un petit village sur la côte méditerranéenne espagnole de fondation islamique. Le Pavillon est placé à deux kilomètres de la ligne de côte, dans la zone de production agricole intensive de la Plaine, à coté de grands champs d’exploitation d’avocats et de chirimoyas, tracés par une ancienne infrastructure hydraulique de grande importance. Il existe une dynamique très particulière en ce qui concerne la création des villes islamiques le long de la côte méditerranéenne, la relation montagne-plaine, qu’évoque tellement l’idée d’une ville suspendue. Dans le cas de Salobreña, cette relation ville-campagne existe et à son tour a crée une économie notamment agricole qui s’est vue depuis une quarantaine d’années équilibrée par le développement du tourisme, cependant, celui-ci reste de moindre importance comparé aux autres fronts de mer complètement bétonnées tel que la « Côte du soleil ». Cette question est due aux infrastructures crées durant les années soixante, la côte de Grenade est la seule partie de l’Arc Méditerranéen à ne pas être connectée par une grande autoroute, aussi, aujourd’hui. Cette absence d’infrastructure construit un très beau paysage, celui de la côte Tropicale, très proche de celle que l’on peut rencontrer au Venezuela ou en Colombie, évocatrice d’une sensualité perceptible tout au long de la côte, toujours connectée à la méditerranée. Sur cet espace vaste en extension, sur ce vide qui construit le fleuve Guadalfeo, est placé le Pavillon, près de ce qui sera le nouvel accès à la communauté de Salobreña depuis la A-6. On verra, le Pavillon depuis l’autoroute, comme l’illustre le plan rapporté.
La peau polylignes
Dans l’atelier on essaie de dessiner en continu, en utilisant la poli-ligne, qui de manière automatique trace des arcs et des « liaisons ». Ce processus très facile à développer à partir d’Autocad TM, construit la forme selon deux concepts fondamentaux : l’acoustique et la continuité spatiale, en refusant un espace dirigé, il pourrait s’agir d’une danse de murs assez libre répondant à des principes tels que la densité du programme, ou ce qu’on connait normalement comme fonctionnalité. Depuis l’extérieur le Pavillon glisse sur la plaine à partir d’un accès coupé de forme radicalement droite, l’accès monte doucement à la salle polyvalente qui sert également de mirador flottant.
Travail de luthier
L’utilisation de pans de murs courbes crée à l’intérieur du bâtiment un son riche qui se voit musicalisé dans les « coins » courbés. Il pourrait s’agir d’un « corps » de guitare dont les parties exposées au nord et à l’ouest sont construites en béton et celles au sud et à l’est en verre, créant ainsi une boîte qui fonctionne efficacement dans deux sens, thermiquement et acoustiquement. La réflexion des sons des parois en verre et béton est contrôlée par la moquette dense posée au sol. En outre, le mur vitré reçoit très bien l’énergie des fréquences aigues et le bêton armé les graves et moyennes, les possibles excès de réflexion sont atténués par la moquette, qui rend possible au maximum trois trajectoires énergétiques du son, puisque la quatrième est toujours absorbée. La forme de la salle crée une sorte de « chœur » dans ses parties courbes comme s’il s’agissait d’une guitare et d’un jeu de « concentration-capture » des vibrations du son à l’intérieur du « corps » du Pavillon. Ce phénomène est semblable à la concentration sonore à l’intérieure d’une guitare produit par la vibration des cordes à l’intérieur de la « boîte », les matériaux sont choisis à partir du même principe qu’utilisent les luthiers dans la construction d’instruments de musique, le son est maitrisé à partir du choix des matériaux. Le corps de cet instrument musical, de cette guitare qui a des peaux variables dans les quatre orientations, des inerties variables qui travaillent aussi comme « peau-isolement » et « peau-structure » est conçu à partir d’une masse plus grande dans la partie nord, et plus faible dans la partie sud, en considérant le soleil en tant que source fondamentale. La circulation d’air qui se produit à l’intérieur du pavillon s’appuie à partir des petites entrées dans la partie nord, avec une majeure accumulation de masse, en construisant un cycle d’air très rapide nord-sud de façon naturelle.
Ce qui n’est pas visible et qui doit fonctionner.
Dans notre atelier, la fonctionnalité n’est pas considérée dans un sens courant, sinon qu’elle est attachée aux choses qui doivent fonctionner, tels que les ambiances, les systèmes qui font fonctionner le bâti en tant que machine. Une lecture de la coupe depuis le sol permet de voir la pièce de béton armée qui transmet les charges au sol naturel, ce bloc de béton a été conçu le plus compact possible afin d’abîmer le moins possible le sol naturel, de plus, ce talon est poreux par rapport au terrain, il devient « racine » et procède d’un échange de flux, d’humidité avec le sol naturel. Formellement, ce « grand talon » fonctionne comme une chape isolante de 90cm d’épaisseur et qui travaille, par rapport à l’intérieur du bâti à la manière d’une chambre d’air en utilisant la masse. Dans le Pavillon la source d’humidité est située au centre du bâtiment, l’épaisseur donne à ce « talon » simultanément la capacité de transmettre les efforts de charges et empêche la remontée par capillarité de l’humidité dans les panneaux verticaux, l’évacuation de l’humidité se fait de façon plus rationnelle au travers de la façade ventilée en bois thermo-traitée, le bois est un matériau qui travaille naturellement dans un principe d’absorption/évaporation de l’eau, il s’agit de la peau, dans les arbres tout est peau et tout a été peau ainsi, c'est-à-dire qui l’utilisation du bois dans la façade nord et ouest, la rends beaucoup plus intelligente. Ce comportement est très exagéré dans la coupe, on dirait intuitif, et nous approche au fonctionnement de l’arbre, des fleurs, non pas de manière métaphorique sinon réelle si l’on considère le fait suivant : l’absorption des rayonnements du soleil.
Le Pavillon en tant que capteur d’énergie
La coupe verticale permet d’observer la manière dont le Pavillon capte l’énergie solaire, de façon radicale grâce à cette façade entièrement vitrée. Ce dispositif le détail « capteur » est un vitrage de type Reflectasol TM qui filtre les infrarouges et également échappe l’énergie calorifique dans une quantité allant de 62 à 82%. Dans le schéma « entropique » qui traite de la diffusion de la chaleur à l’intérieur du Pavillon. La section du faux-plafond permet l’installation de rideaux pour minimiser l’apport de lumière, de toute façon, la coupe, assez Miesienne, de 2.45 m d’hauteur, évite les pertes énergiques importantes et réduise la quantité de lumière à l’intérieur.
Le Pavillon en tant que consommateur d’énergie
Les tubes concentrent toutes les fonctions intelligentes du bâtiment, ils sont placés dans l’épaisseur du faux-plafond, ils construisent le « cerveau », la tête du Pavillon, il s’agit sans doute de la partie la plus fragile de la construction. La superposition de tubes révèle la complexité, la complexité de la tête de ce corps.
Le Pavillon en tant que producteur d’énergie.
Depuis la transmission des efforts au terrain, l’architecture se constitue comme une « boucle » de transformations énergétiques, d’absorptions et de transmissions, au niveau des efforts et par rapport au soleil en travaillant de façon productive. En Espagne on est obligé de produire de cette manière le 40% de la consommation du bâti, la Norme Européenne oblige à céder la production d’énergie à partir de capteurs solaires à l’entreprise distributrice d’électricité de la zone, il est amusant que l’énergie produite par le bâtiment ne puisse pas servir à l’ouvrage lui-même, le fait de céder cette énergie produite vient rompre la boucle raisonnable. Les capteurs solaires sont déjà visibles dans la coupe initiale et représentent un cycle naturel qui réside à l’intérieur du bâti.
Sans programme*
Daniel Chávez Romero, technicien de la Mairie de la Salobreña, nous avait commandé ce Pavillon avec l’intention de construire ce que la loi considère en Andalousie comme « Aulas de la naturaleza », des centres d’interprétation du contexte historique ou naturel qui sont permis sur sol « non urbanisable ». Le fait essentiel pour arriver à construire sur un sol de cette nature est déclaré l’intérêt public à partir d’un document nommé plan d’actuation. Le projet présenté pour ce plan d’actuation intégrait une petite agence pour la recherche paysagère et urbaine. Il s’agissait d’une prolongation du bâtiment qu’on perçoit aujourd’hui. Pour l’instant la réalisation est finie, elle attend un programme, ou c’est qui est beaucoup plus mieux, le programme est libre !